Chaque été, pendant l’enfance de Violette, les parents la laissaient quatre mois à la campagne, chez la grand-mère. Leur amour l’enveloppait de loin, tissant entre elle et eux un réseau d’images tendres, photographies développées sur papier mat ou glacé. À Paris, Violette avait eu l’occasion de voir, à la lueur d’une ampoule rouge, sa silhouette apparaître magiquement, sur les rectangles de carton qui trempaient dans le bac de révélateur.
Les parents, ces divinités tutélaires, vouaient un culte photographique à son image de petite fille. La mère de Violette idolâtrait cette image, sans doute moins fragile à ses yeux que la chair.
C’est à la grand-mère qu’était confiée la tâche concrète de nourrir et de préserver ce corps enfantin, dont la mère, en quelque sorte, craignait le toucher sacrilège.
Pendant des années, avant la seconde guerre, de grands albums avaient consacré les voyages du couple à travers la France ou l’Italie. On voyait ces deux sportifs, à la tenue assortie, pantalon bouffant et blouson de grosse laine, gravir en tandem des cols de montagne, sillonner les routes les plus abruptes. Couple uni, se suffisant à lui-même. Le père inscrivait dans chaque paysage le sourire et la grâce de sa jolie jeune femme.
Violette avait surgi tard dans la vie de ses parents, après la guerre et des années de séparation forcée pour ce couple, blessé dans l’âme, et en moins bonne santé.
Les précieux albums, envoyés à la campagne pendant l’Occupation, avaient réintégré le domicile parisien, et repris leur place d’honneur, dans l’armoire d’acajou.
Sillonner en tandem les routes de France était devenu plus difficile, et Violette s’annonça.
Pourquoi cette femme encore jeune, tendre et belle, fut-elle malade de son bonheur, de sa maternité, au point de faire, pendant trois ans, une grave dépression qui l’empêcha d’élever son enfant ?
Pourquoi fut-elle envahie de peurs obsessionnelles, devant cette vie toute neuve qu’elle venait de mettre au monde ?
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