L’hiver 54 est resté dans les mémoires pour son froid légendaire.
Violette a sept ans, et elle est un peu malade. Elle tousse, et passe la journée bien au chaud, avec sa grand-mère, près de la cuisinière à gaz, dont les parents ont équipé le petit appartement parisien.
La grand-mère a laissé cette cuisinière allumée depuis midi, pour maintenir la température de la pièce. Ce jour-là, Violette dessine sur le grand cahier qu’on a fabriqué pour « ses histoires ». Sa mère a rapporté des feuilles de son bureau, et sa grand-mère les a cousues, comme un album, par le milieu. La grand-mère a toujours une aiguille à la main, et un dé au doigt.
Ce jour-là, Violette a terminé une histoire, et comme elle en a l’habitude, elle la fait suivre d’une jolie frise coloriée et d’un dessin. Non loin d’elle, sur la table de la cuisine, un gâteau attend l’heure de son goûter. Elle l’a réclamé ce matin, quand la grand-mère partait faire les commissions, et celle-ci, contente de la voir reprendre de l’appétit, lui a rapporté celui qu’elle convoitait : un gâteau en forme de pêche, avec une jolie couleur rousse et une petite tige verte en pâte d’amande. Le gâteau trône encore sur une assiette, car à midi, Violette n’avait plus très faim pour le dessert.
Ce gâteau eut une particularité : Violette ne le mangea pas, mais s’en souvint toute sa vie.
En effet, cet après-midi-là, elle a un peu mal au cœur, à force de dessiner. Et elle somnole, dans la moiteur de cette cuisine, dont la grand-mère a soigneusement calfeutré les fenêtres avec des torchons roulés.
La mine épaisse du gros crayon rouge passe et repasse entre les lignes que la grand-mère a tracées à la règle, et voilà qu’elle déborde d’un grand trait inutile, ce qui n’arrive plus jamais. Mais Violette n’a pas le courage de prendre la gomme… Tout est brumeux. Son cœur se soulève : va-t-elle vomir ?
Elle veut prévenir sa grand-mère, qui continue à coudre, assise de l’autre côté de la table. Mais voilà que la grand-mère s’est assoupie, elle aussi. Son menton a rejoint sa poitrine, et ses deux mains sont posées sur ses genoux, immobiles.
Violette n’a pas vraiment le temps de s’en pré- occuper, car sa vue se brouille complètement, elle ne distingue plus que des petits cercles dorés qui tournent curieusement.
Mais la voix de Violette a toujours eu le pouvoir de réveiller la grand-mère. Celle-ci se ressaisit, et s’aperçoit que la tête de l’enfant s’est effondrée au milieu du dessin.
Dans un sursaut, elle est debout. Son instinct la guide : le gaz… Il y a une fuite de gaz !
À la campagne, elle a une cuisinière à bois, moins dangereuse, comme elle l’a toujours dit… Mais voilà, sa tête est lourde, elle souffre d’une migraine depuis ce midi, et il lui faut toute son énergie pour s’arracher à sa place, et faire le tour de la table en s’accrochant à la toile cirée. Elle a les jambes en coton, mais elle crie : « Violette, allons réveille-toi ! Réveille-toi ! »
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