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Des années durant, l’oncle Fernand continua à bêcher son jardin, sifflant ou chantant à longueur de journée. Dans le voisinage, chacun connaissait ses airs favoris. Sa philosophie de jardinier s’envolait dans la chaleur des étés : « On n’a pas tous les jours vingt ans… », ou « Qui vivra verra… » Il avait aussi, à son répertoire, une chanson sur les petits pois, la préférée de Violette dans son enfance.
Du seuil de la maison, ou depuis la pompe, en arrêt sous le figuier, Yvonne l’observait, constatant avec indulgence l’inefficacité croissante de ses efforts. Elle l’appelait son vieux merle, et le taquinait quand il venait s’asseoir auprès d’elle, soulevant sur son front aux sillons humides un béret noir qu’il n’ôtait jamais complètement. Violette surprenait alors un bref échange de regards entre eux : les yeux bleus de Fernand, un peu perplexes. Les yeux noirs d’Yvonne, un rien moqueurs.
D’un haussement d’épaules, d’un clin d’œil complice, celle-ci effaçait tout.
Mais pendant les séjours d’Yvonne à l’hôpital, Fernand, qui bêchait toujours, ne chantait plus.
Un pli amer se formait autour de ses lèvres quand il donnait aux voisins des nouvelles d’Yvonne.
Et Violette, toujours « dans ses jambes » l’agaçait un peu, sans doute. Il lui disait « Filoche… » quand elle suivait le déplacement de ses arrosoirs entre les plates-bandes.
Et puis Yvonne réapparaissait…
Elle avait encore une pincée de cheveux noirs, roulés sur la nuque. Mais la grand-mère de Violette lui avait parlé de son abondante chevelure d’autrefois, en auréole autour de sa tête.
« Elle est un peu échevelée » avait dit Fernand en la présentant à sa famille, quarante ans auparavant.
Pourquoi ces deux-là n’avaient-ils pas eu d’enfant ? Plus tard, Violette sut qu’ils n’en avaient pas voulu. Elle crut comprendre qu’il y avait un rapport obscur entre la santé fragile de la tante Yvonne et ce refus lointain.
Dans ces familles où chaque génération connaissait une guerre, on craignait d’avoir un fils. Mais tout de même, une tentative unique, cela ne se refusait pas… Et puis, l’enfant pouvait être une fille, comme c’était de tradition du côté de la grand-mère.
Une des rares fois où, à l’âge adulte, Violette revit Yvonne et Fernand ensemble, elle leur amena ses deux filles. La tante Yvonne, toujours indulgente, laissa les fillettes se rouler à leur guise sur les coussins qui ornaient leur lit.
Béat, gentil comme dans un conte de fées, Fernand, le vieux jardinier retombé en enfance, continuait à siffler, à chanter. Et Yvonne, bien que très sourde, continuait à l’écouter avec le sourire.
À table, elle lui coupait son pain et sa viande. Elle choisissait les morceaux qui lui convenaient, et versait un fond de vin dans son verre.
Il la regardait avec reconnaissance, le regard rieur et flou.
Elle avait pour lui de petits gestes tendres, redressant son col, lui accordant une petite goutte supplémentaire, et entonnant une chanson pour l’entraîner… « Celle-là, ils la connaissent par cœur ! Chante-leur en une autre… »
Mais Fernand poursuivait à mi-voix : « Qui vivra verra… »